Derbys kinois désertés : les solutions de Florent Ibenge pour un football congolais plus vibrant

Récemment sacré champion de la Mauritanie avec son équipe Al Hilal Club, Florent Ibenge, ancien sélectionneur de la RDC et entraîneur de l’AS V. Club, nous a accordé une interview. Il retrace son parcours au club de AS Vita, discute de l’évolution de l’entraînement en République démocratique du Congo, mentionne le manque d’attrait du football congolais, aborde les questions de marketing et de visibilité, parle de la fondation Docteur Ibenge et évoque l’avenir du football congolais avec un projet de formation.

Bonjour, Coach Florent Ibenge. Après une décennie d’expérience sur le sol africain en tant qu’entraîneur, Pourriez-vous nous faire part des moments clés de votre carrière qui ont façonné votre rôle en tant que coach et leader dans le football africain ?

Les résultats que j’ai pu faire tant avec l’AS V. Club qu’avec l’équipe nationale, c’est indéniable, mais il y a aussi la façon d’y parvenir qui était plutôt bonne. Ainsi, nous avons établi une méthode de travail. Qui a légèrement évolué au niveau national et qui a quelque peu changé, parce qu’au pays on avait l’habitude de faire des deux camps et que les gens ont découvert qu’on pouvait faire des entraînements presque toute la semaine, sans qu’il y ait des deux camps. Ce fut donc aussi un aspect dont on parle rarement, mais il est vrai que cela a évolué. Donc, avec l’équipe nationale, nous avons réussi à faire trois CAN consécutives alors que nous n’étions pas qualifiés auparavant. Nous avons propulsé notre nation au-delà de la centième position pour atteindre jusqu’à la 25e place mondiale.

On vous perçoit comme un des artisans du renouveau au sein de l’As Vita Club, avec deux finales en Ligue des champions et en Coupe de la confédération. Vous avez également contribué à l’équipe nationale du Congo, remportant une médaille de bronze lors de la CAN 2015 et le titre au CHAN 2016. Quels facteurs ont contribué à ce renouveau et comment peuvent-ils servir de modèle pour le futur ?

C’est encore une fois les résultats, la manière de travailler et tout cela. Et puis, j’ai eu une intégration assez facile. À mon avis, il est nécessaire de faire un pas vers les autres tout comme ils devraient faire un pas vers vous. C’est exactement ce que j’ai fait : j’ai pris contact avec les coachs congolais et ils sont également venus à ma rencontre. J’étais donc disponible pour tout le monde et nous avons pu échanger, je leur ai présenté mes connaissances. Et puis j’ai découvert aussi ce qu’ils avaient et on s’est nourri ensemble. Ce qui a engendré une belle symbiose entre les entraîneurs. Et donc, ça perdure jusqu’à maintenant où nous sommes ensemble, nous travaillons en collaboration, nous échangeons et tout cela a été bénéfique. C’est d’ailleurs l’une de mes fiertés : mes collègues entraîneurs ont une grande soif de connaissance avec les moyens que nous avons à disposition. Ils aspirent à progresser constamment. Voilà un aperçu de ce que je peux dire sur le continent, du pays en particulier. Il est évident que les résultats ont encore une fois joué un rôle crucial. En effet, nous avons produit du beau football pendant sept ans et appris à apprécier le beau jeu. Ainsi, lorsque je suis arrivé, le président m’avait confié que, dans Vita, même en cas de défaite, si nous jouions bien, cela lui convenait. Je lui ai immédiatement répondu que ma préférence était de gagner plutôt que de simplement jouer bien. J’étais là pour gagner et j’ai donc instauré une manière de travailler axée sur la gagne. Alors, on a obtenu les résultats, on a remporté le championnat. Malheureusement, la coupe d’Afrique nous a échappé. Cependant, on a atteint deux finales et avec l’équipe nationale locale, on a réussi à la gagner.

« Le football est un spectacle, sauf que chez nous, on ne l’a pas encore compris »

Le football congolais a connu des heures de gloire, en particulier avec des figures emblématiques telles que Joseph Kibonge, le « seigneur du football congolais », ou Paul Bonga Bonga. Malheureusement, ces derniers temps, même les rencontres majeures comme les derbys kinois entre l’AS Vita Club et le DCMP n’attirent plus les foules dans les stades. Il semble que les fans de Kinshasa soient davantage orientés vers le Classico espagnol. D’après vous, quels seraient les facteurs principaux de cette absence d’attrait ?

Oui, il est clairement visible que les stades sont désormais vides. Une analyse plus approfondie serait nécessaire pour obtenir des détails précis, mais on constate qu’au fil des années, une dégradation a eu lieu, surtout à cause de certaines violences au stade. Ces incidents font en sorte que personne ne souhaite se rendre au stade pour risquer d’être agressé. C’est un premier point à considérer. Ensuite, il ne faut pas négliger l’impact des grands championnats européens où les matchs se jouent tous les jours. Cela fait un certain temps que la Linafaoot organise deux matchs en même temps dans la même ville. Ainsi, un match se déroule au stade des Martyrs, tandis qu’un autre se joue au stade Tata Raphaël. Les deux stades sont vides, alors qu’en les planifiant au même endroit, nous aurions peut-être pu avoir un stade plein. Il existe de nombreux autres facteurs, mais il faudrait les analyser froidement. Voici brièvement les éléments qui expliquent pourquoi les matchs ont quelque peu perdu de leur attrait. Il n’y a pas de marketing pour vendre le spectacle. Le football est un spectacle, sauf que chez nous, on ne l’a pas encore compris. Je me rappellerai toujours, et c’est un fait indéniable, que nous sommes en train de récolter ce qu’on n’a pas fait. Je me souviens d’un match que nous avons disputé contre le club du FC Renaissance. Je suis sorti à 10 heures du matin pour aller acheter du papier pour préparer ma causerie. J’ai traversé le stade des Martyrs à 10 heures du matin. Le stade était plein et de nombreuses personnes étaient présentes à l’extérieur pour une rencontre prévue à 15 h 30. Lors de ma présence à une réunion de la CAF au sein même de l’organisation, le sujet de ce match a été abordé. Depuis cet événement, l’affluence au stade n’a jamais atteint un tel niveau. Pour ce match-là, je ne suis même pas sûr que le bénéfice ait été positif après avoir payé toutes les taxes de ci de là. Ce fut une grande partie, un grand spectacle, qui aurait dû être vendu, mais, malheureusement, ce n’était pas le cas. Je pense qu’avec une programmation bien définie, un agenda structuré et une forte lutte contre la violence, je suis convaincu que les gens finiraient par revenir.

« Pour générer des revenus dans le football, il est essentiel d’attirer des sponsors »

On mentionne fréquemment les infrastructures vétustes, telles que celles de Kananga, ainsi que les problèmes d’organisation. Pensez-vous que ces éléments ont influencé la chute de popularité des championnats congolais, et comment pourrions-nous corriger cela ?

Ah oui, évidemment, les infrastructures restent une chose qui est un frein pour notre football. C’est certain. Bien qu’au niveau de la Linafoot, nous parvenions à jouer sur des terrains acceptables, comme c’est le cas actuellement. Nous avons sélectionné des lieux où il est possible de jouer sur un terrain synthétique, offrant ainsi la perspective d’un jeu relativement standard, même si cela ne remplace pas l’herbe. En revanche, ce sont des terrains synthétiques de qualité supérieure.  Pour l’instant, on utilise quatre infrastructures dans le domaine du football. Cependant, il existe un déficit criant d’infrastructure. Dans toutes les régions, il y a une certaine réticence parce que le football est souvent considéré comme un sport pratiqué par des voyous. Pourtant, si on investit suffisamment, cela pourrait être un élément majeur de développement. Mais bon, tout cela est politique et dépend de la vision qu’on a. Pour le moment, nous n’avons pas réussi à changer ce paradigme. Il est donc nécessaire de prendre en compte cette question, car elle contribue à l’élévation d’une nation. Je suis conscient qu’il existe de nombreuses priorités, mais celle-ci aussi revêt une grande importance. Concernant l’organisation, il est en effet nécessaire que nous prenions la responsabilité nous-mêmes ; les dirigeants sont tenus de le faire. Ils détiennent un trésor entre leurs mains, et c’est à eux de bien le gérer. Ce n’est pas simplement une question d’organiser pour occuper l’esprit des enfants, non. Ils ont une profession, ils ont accès à l’éducation en masse, ils sont intégrés. Ils ont vraiment beaucoup de domaines dans lesquels intervenir et une organisation adéquate est primordiale. Pour générer des revenus dans le football, il est essentiel d’attirer des sponsors. Il faut vraiment y réfléchir afin de progresser. Ils ont vraiment de l’or entre les mains, mais je crois qu’ils ne s’en rendent pas compte.

Les supporters congolais, notamment ceux de Kinshasa, sont réputés pour leur ferveur. Néanmoins, nous avons remarqué récemment que les tribunes sont désertes. Selon vous, quelle stratégie devrait être mise en œuvre pour attirer de nouveau les foules dans les stades ?

Oui, les supporters ont quitté le stade pour les raisons que nous avons évoquées plus haut. Chaque club devrait prendre les mesures nécessaires pour attirer un plus grand nombre de supporters. Mais à partir du moment où on n’a pas son propre stade et que l’afflux des supporters ne bénéficie pas financièrement au club… Les clubs ne prennent pas vraiment conscience que, peu importe si le stade est plein ou non, ils n’en retirent guère de bénéfices. Pour eux, c’est loin d’être une perte significative. Cependant, lorsqu’ils disposeront éventuellement de leur propre stade ou si l’on leur permettra d’organiser les matchs à domicile, ils feront tout pour attirer des supporters, car cela serait profitable pour eux. Il faut penser à la possibilité de confier l’organisation des matchs au club afin qu’il puisse bénéficier financièrement de ces derniers.

« Grâce au marketing, nous pourrons établir des partenariats, faire de la publicité et gagner en visibilité »

En tant qu’agence de marketing sportif ASMA, nous avons noté que le football congolais souffre d’un manque de visibilité, y compris sur la scène internationale. Quelles stratégies de communication ou de marketing suggérez-vous pour accroître l’attractivité du championnat local auprès des supporters, des sponsors et des agents sportifs ?

Nous manquons d’un des éléments les plus bénéfiques dans notre football, à savoir l’introduction d’agences de marketing. Il est essentiel d’investir dans des cabinets de marketing pour nous proposer des stratégies visant à attirer davantage de spectateurs et à assurer la rentabilité du football. Ainsi, il est impératif que le football… Les entreprises, des agences telles que la vôtre, peuvent amener des idées innovantes, puisque c’est votre domaine d’expertise. Chaque club devrait donc disposer d’un département marketing pour assurer sa visibilité.  Ce n’est pas sorcier d’avoir de la visibilité pour son club quand on sait comment s’y prendre. Entreprendre des démarches pour générer des ressources à partir de manifestations de ce type. OK, je n’ai pas tout mis là-dedans, mais il y a des éléments qui pourraient fonctionner. Il n’y a pas de petite pièce, vraiment pas.
Grâce au marketing, nous pourrons établir des partenariats, faire de la publicité et gagner en visibilité. Cela pourrait donc propulser notre football. Cependant, le souci est que nous hésitons à investir, pensant que c’est de l’argent gaspillé alors qu’en réalité, c’est un investissement. Il faut avoir le courage d’investir, il faut oser.

Vous avez travaillé au sein de V.club et participé à la promotion des talents congolais. Comment planifier la détection de ces jeunes Congolais et mettre en place une formation des joueurs qui posséderont les compétences techniques et tactiques nécessaires pour évoluer dans le championnat local et les championnats européens ?

La détection de talents a toujours été un grand problème dans une grande ville comme Kinshasa, et même au sein des clubs prestigieux, cela reste souvent surprenant. À V. club, au début, on organisait des matchs de sélection.
Par rapport à certains joueurs qui étaient recommandés. J’ai rapidement compris : il fallait plutôt ouvrir le jeu. J’ai récupéré des joueurs qui jouaient en division 3, et quand je les mettais à l’entrainement, ils avaient le même niveau quasiment que ceux que j’avais, ce qui démontre que le talent est vraiment diffus à travers la ville. On n’a pas pu mettre en place une cellule de recrutement pour V Club.  Je me souviens d’une année où je mettais en place une détection. J’ai donc réalisé cette détection pendant plusieurs jours, accueillant des joueurs issus de diverses équipes de tous les districts. J’ai ainsi pu les évaluer légèrement afin de recruter localement, mais il était évident qu’il y avait du talent. Il serait idéal de faire cela tout au long de l’année. Chaque club devrait disposer de recruteurs parcourant la ville afin d’identifier les meilleurs talents. Des rassemblements par secteur devraient être organisés chaque mois pour permettre un suivi continu des joueurs. Il est désormais nécessaire que nous disposions des ressources nécessaires pour le réaliser à travers la République. Donc, je ne perds pas espoir. Ce qui nous fait défaut, c’est un peu de moyens. Comme je le disais précédemment, un grand bravo aux éducateurs, car nous avons instauré tout cela avec la direction technique nationale et tous les entraîneurs qui ont semblé venir prêter main-forte. Le plan est très simple : nous allons commencer les détections et avons donc désigné les directeurs techniques provinciaux. Ces personnes seront chargées de transmettre les directives du directeur technique national à travers le pays. Très prochainement, vous pourrez voir les équipes provinciales des U15, U17 et U19. Donc c’est un projet avec un championnat dans un premier temps, une coupe nationale. Une équipe nationale. Il faudra ajouter à l’équipe nationale les joueurs qui sont hors du pays lorsque nous participerons à des compétitions de grande envergure, afin d’avoir une équipe véritablement représentative. Et en ce qui concerne les jeunes filles et les jeunes garçons, un projet est déjà mis en place pour des centres de préformation. Le DTN voulait commencer le premier centre de préformation près de Mbandaka.
L’ensemble du projet est achevé, mais l’aspect financier nous fait défaut. Donc voilà, on s’efforce de trouver des solutions et on ne perd pas espoir à ce sujet. C’est donc ce choix, car il a découvert un centre intéressant et a décidé de le placer là-bas. Ensuite, à l’échelle nationale, il faut avancer progressivement. Nous, les entraîneurs, avons cette pensée constante. Il serait nécessaire de nous apporter un soutien dans ce sens, car tout le monde affirme que la victoire du Congo est envisageable pour atteindre la Coupe du monde.

Durant les derniers États généraux des sports congolais, vous n’avez pas été convié. Si l’on vous sollicitait aujourd’hui pour présenter une stratégie visant à restructurer les sports en République Démocratique du Congo afin de les rendre plus compétitifs et attrayants, quelle serait votre approche ?

Dans l’éventualité où je serais convié à une séance de travail, je mettrai bien entendu à contribution mon expérience et ma vision. Je crois qu’elles seraient appréciables, car elles sont avérées et concernent non pas un seul pays, mais plusieurs. Donc, on peut au moins prêter l’oreille. J’ai eu des échanges avec tous les ministres des Sports pour parler, notamment, du futur, c’est-à-dire du sport en milieu scolaire. Nous avons évoqué notamment la possibilité d’une section sportive en plus de la filière académique. Cependant, jusqu’à présent, cela n’a pas trouvé écho. J’ai également commencé à le faire individuellement avec la fondation Docteur Ibenge. Nous avons commencé avec huit écoles où nous avons pratiqué le football. Par la suite, nous avons élargi notre portée à 18 établissements répartis dans toute la ville de Kinshasa. À fond propre, donc, ça commence à être très lourd. J’ai tenté de soumettre le projet au ministère en me rendant là-bas, mais cela ne s’est pas concrétisé. Nous ne perdons pas espoir, car nous sommes fermement persuadés qu’il s’agit d’un projet de société, un projet qui pourrait réellement intéresser tout le monde.

Coach  Ibenge, nous vous avons connu en tant que coach de football. Avez-vous déjà réfléchi à ce que vous ferez après le football ? Voyez-vous dans un autre rôle en dehors de celui de coach ?

Une fois que j’aurai fini le coaching, comme je l’ai toujours dit, je ne m’interdis rien dans aucun domaine, donc on verra de quoi sera fait le lendemain, mais en tout cas je ne m’interdis rien.

Propos recueillis par Henock MBUKU

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